La catastrophe sociale du typhon Haiyan

Au moins 10 000 personnes sont mortes aux Philippines après le passage d’un typhon dévastateur. Neuf ans seulement après le tsunami de l’Océan indien, huit ans après l’ouragan Katrina, et trois ans après le tremblement de terre en Haïti, l’humanité est une fois de plus confrontée au spectacle catastrophique de la souffrance et de vies perdues en masse.

Un million de gens sont maintenant réfugiés dans des centres d’évacuation, des centaines de millions n’ont ni nourriture ni eau, et les hôpitaux qui ont résisté au typhon débordent de patients qui souffrent et meurent de maladies qui pourraient être traitées si des médicaments étaient disponibles. L’électricité, les communications et les infrastructures de transport de la région ont été dévastées.

Il ne fait aucun doute que la tâche qui consiste à construire des abris capables de protéger les masses contre des tempêtes dévastatrices comme Haiyan, et de reconstruire les villes frappées par ces désastres est d’une ampleur exceptionnelle. Avec des vents à 313 Km/h et des bourrasques à 378 Km/h Haiyan a été la pire tempête à atteindre des côtes dans les annales météorologiques mondiales. Il y a peu de doute que le changement climatique mondial soit un facteur dans l’intensité de plus en plus forte des ouragans et des typhons.

Mais il y a un agenda politique précis qui souligne les affirmations de la presse internationale, du Guardian au New York Times, selon lesquelles rien n’aurait supporté les vents à plus de 300 Km/h de ce typhon.

Des photos de la ville de Tacloban et de ses alentours frappés par le typhon disent le contraire. Des entreprises, des centres commerciaux, des bâtiments publics et des villas sont toujours debout. Le country club de la ville est pratiquement intact.

Si les vents rageurs d’Haiyan ne pouvaient pas être arrêtés, le nombre massif de morts et de blessés ainsi que l’ampleur de la carence des denrées essentielles à Tacloban ne sont pas une catastrophe naturelle mais une catastrophe sociale. La grande majorité des victimes du typhon auraient survécu si elles avaient eu accès à des centres d’évacuation solidement construits, situés dans des endroits sûrs et contenant à l’avance les provisions nécessaires.

Parmi les centres d’évacuation de la ville, il y avait le complexe sportif municipal couvert par un dôme. Des centaines de gens fuyant la tempête y ont été dirigés par les responsables locaux pour trouver refuge. Comme toutes les constructions en dur de Tacloban, elle a résisté à la tempête. Cependant, cette zone n’était pas située suffisamment au-dessus du niveau de la mer et l’intérieur a été inondé. Ceux qui étaient à l’intérieur ont soit péri noyés soit ont été écrasés en tentant de lutter pour se maintenir au-dessus de l’eau qui s’engouffrait à l’intérieur.

Les quartiers qui sont maintenant détruits ou ont été emportés étaient construits avec des matériaux bon marché et fragiles avec lesquels les travailleurs et les pauvres sont contraints de construire leur maison. Plus d’un tiers de tous les logements à Tacloban ont des murs extérieurs en bois, et un sur sept a un toit en herbe d’après les données du Bureau de recensement des Philippines. Brian McNoldy, chercheur spécialiste des ouragans à l’Université de Miami a déclaré que ces maisons étaient des « constructions [tellement] fragiles […] qu’une tempête plus faible aurait causé presque autant de dégâts. »

Une étude de 2012 de la Banque mondiale a révélé que quatre Philippins sur dix vivent dans une ville de plus de 100 000 habitants qui est particulièrement exposée aux tempêtes. Malgré cela, aucune précaution n’a été prise dans les zones exposées. Les prétendus centres d’évacuation sont des églises, des salles de conférence municipales et des écoles, qui n’ont pas de sanitaires ni de provisions de survie.

Ce qui a été démontré une fois de plus est le fait que les travailleurs du monde entier, de Tacloban, à Port-au-Prince à la nouvelle Orléans, sont contraints de vivre dans des logements mal construits, à la merci des tempêtes majeures et des autres catastrophes.

La responsabilité de cet état des choses ne se trouve pas dans le destin, mais dans le capitalisme. L’humanité a la capacité technologique de se préparer aux typhons, de construire des abris capables de résister aux plus grandes tempêtes et de les approvisionner, et de reconstruire des villes entières.

Les ressources nécessaires ne peuvent être mobilisées en raison de l’irrationalité du marché capitaliste, de la recherche du profit qui domine toutes les activités sociales, de la division dépassée et destructrice du monde en Etats-nations rivaux, et du niveau grotesque d’inégalité sociale qui domine sur toute la planète. Les fonds nécessaires ne peuvent pas être trouvés, en grande partie parce que des milliers de milliards de dollars sont déposés sur les comptes en banques de « High Net Worth Individuals [détenteurs de grande fortune] » qui monopolisent la somme vertigineuse de 27 000 milliards de dollars dans le monde.

L’incapacité à construire des logements décents et des abris à tempête aux Philippines va de pair avec les conditions plus larges de privation imposées aux masses laborieuses par ce système social dépassé et irrationnel.

Seulement quatre personnes sur dix aux Philippines ont une alimentation appropriée d’après le Conseil national de l’alimentation. Vingt-sept pour cent de la population souffrent régulièrement de la faim. La durée de vie moyenne des hommes en 2012 sur l’île de Samar, maintenant dévastée par Haiyan, était de 64,5 ans, soit 15 ans de moins qu’en Europe occidentale.

Ces conditions soulignent la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le contrôle de la richesse obscène accaparée par les super-riches et de l’utiliser pour des objectifs socialement progressistes. Toute tentative de le faire rencontrera l’opposition violente de l’Etat capitaliste, qui déploie en ce moment sa force armée pour défendre la propriété privée et terroriser les victimes du typhon.

Alors que des centaines de milliers de victimes de la tempête aux Philippines luttent pour trouver de la nourriture, et que l’aide du gouvernement est introuvable, les victimes tentent de trouver la nourriture, l’eau et les denrées dont ils ont besoin dans des magasins et des centres commerciaux fermés.

Le Président philippin Aquino a répondu en déployant 1300 policiers et soldats lourdement armés avec des véhicules blindés pour patrouiller dans la ville et protéger la propriété privée, placer la ville sous couvre-feu et soumettre les victimes de la tempête à des fouilles arbitraires. Il a laissé l’essentiel des efforts humanitaires à la charge d’agences privées ou, ce qui est alarmant, de l’armée des États-Unis, l’ancienne puissance coloniale aux Philippines.

Les opérations logistiques complexes impliquées dans l’effort humanitaire en cours ne sont qu’une pâle indication des vastes efforts économiques qui seront nécessaires pour créer une société qui puisse supporter des tempêtes de cette force. Cela ne peut être fait que par la mobilisation planifiée et internationale des ressources industrielles et scientifiques de toute la région et du monde…

Joseph Santolan

Article original, WSWS, paru le 13 novembre 2013



Articles Par : Joseph Santolan

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