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Bon nombre d’équipes dirigeantes composées à 100% d’hommes blancs tiennent à souligner les fruits de leurs efforts en matière de diversité à l’égard des femmes et des minorités ethniques. En revanche, il est plus difficile de savoir ce qu’elles font pour inclure les populations LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). Les salariés LGBT ne divulguent pas forcément leur orientation sexuelle sur leur lieu de travail et sont donc parfois considérés comme une minorité « invisible ». Aux Etats-Unis et en Europe, environ 20% des LGBT sont victimes de discrimination au travail. Les taux de discrimination concernant les salariés transgenres sont en général plus élevés, peut-être parce que leur différence est plus visible. Selon une étude réalisée en 2014 par une fondation américaine, une majorité de salariés LGBT indiquait avoir surpris des plaisanteries sur des personnes gays ou lesbiennes et un tiers disait se sentir obligé de mentir sur sa vie privée au bureau.

Afin de mieux comprendre les causes et les conséquences de l’homophobie au travail, nous avons mené une étude en France sur des auditeurs gays et lesbiens au sein des plus grands cabinets d’audit, les « Big Five ». L’intégration des LGBT est un défi majeur dans les sociétés de services aux entreprises où les contacts entre collègues sur le lieu de travail sont essentiels à leur fonctionnement. Nous avons choisi de nous concentrer sur les cabinets d’audit pour deux raisons. Premièrement, à cause de ce que les sociologues appellent la prédominance masculine : les Big Five en France emploient environ 50% de femmes au total, mais cette proportion se réduit à 20% chez les associés. Deuxièmement, parce qu’il existe clairement des normes convenues sur ce que réclame l’audit : veiller à ce que l’activité du cabinet obéisse aux règles comptables et réponde à des attentes sociales et financières. Cette focalisation sur les normes influence la perception des comportements et du genre au sein de l’entreprise. Autrement dit, les auditeurs chargés de vérifier que les normes sont suivies par les firmes qu’ils auditent sont eux-mêmes censés suivre des normes.

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Nous avons mené des entretiens approfondis avec 18 auditeurs gays et lesbiens que nous avons suivis pendant deux ans. Nous avons recueilli nos données au moment où le gouvernement français promulguait une loi sur le mariage gay qui avait polarisé l’opinion publique et soulevé des protestations pendant des mois. Notre étude a mis en lumière des formes subtiles d’homophobie et les combats identitaires vécus par ces auditeurs.

L’homophobie peut être monnaie courante au travail

L’aspect positif, c’est que notre étude n’a pas révélé de discrimination patente envers les 18 salariés gays et lesbiens. En revanche, presque tous disaient entendre des commentaires ou des blagues visant les minorités sexuelles dans la sphère professionnelle (lire aussi l’article : « Humour ou harcèlement ? »). Des études psychologiques antérieures ont montré que les salariés qui sont transparents sur leur sexualité tendent à éprouver une plus grande satisfaction dans leur travail et à entretenir de meilleures relations avec leurs managers que ceux qui n’assument pas publiquement leur homosexualité. La plupart des auditeurs que nous avons interrogés dissimulaient leur identité sexuelle à leurs collègues. Ils se disaient que cela pouvait leur éviter de souffrir d’une discrimination ouverte, mais que cela risquait aussi de laisser croire à leurs collègues que les injures homophobes étaient « inoffensives ».

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Nos sujets répugnaient à révéler leur identité sexuelle de peur d’être jugés. Les auditeurs sont évalués régulièrement par leurs pairs et leurs managers, et les jugements sévères de certains collègues pourraient donc nuire à leur carrière. Outre la perspective de faire l’objet d’une discrimination ouverte, les salariés LGBT craignaient de ne plus pouvoir contrôler l’information sur leur identité sexuelle – en étant victimes de la médisance de leurs collègues, par exemple, ou de rumeurs au bureau (lire aussi la chronique : « Le cerveau humain ne résiste pas aux ragots »).

Au travail, les auditeurs gays et lesbiens mentaient constamment sur leur vie privée pour cacher leur sexualité. Comme leurs journées étaient longues, ils passaient beaucoup de temps à dissimuler une partie de leur identité et à se sentir mal à l’aise dans les discussions personnelles. Quelque chose d’aussi anodin qu’une conversation sur des projets de dîner pour la Saint Valentin peut être difficile pour des salariés qui n’affichent pas leur orientation. Doivent-ils dire la vérité ? Mentir par omission ? Ou mentir tout court ? Chaque option est risquée. Plus généralement, les auditeurs gays et lesbiens disaient éprouver une gêne constante en société, car ils étaient obligés de décider à chaque fois s’ils devaient révéler leur identité sexuelle ou la cacher et, dans ce cas, comment le faire.

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La rhétorique de la performance peut être néfaste

Nous avons observé que les discours sur la performance dans l’entreprise sont systématiquement associés à la virilité et à des valeurs masculines hétéronormées. C’est ce qu’ont remarqué des chercheurs dans toutes sortes de sociétés de services aux entreprises tels les banques d’investissement, le conseil et l’audit. Puisqu’il existe un préjugé contre l’homosexualité, celle-ci est jugée éloignée de ces valeurs et donc incompatible avec de bons résultats. Plusieurs salariés interrogés ont évoqué leur gêne en entendant leur supérieur ou leurs collègues lancer « C’est pas un audit de PD ! » pour souligner l’importance de la mission et encourager la force et la combativité au sein de l’équipe.

Cette association entre la performance et la virilité poussait certains salariés à afficher une masculinité excessive lorsqu’ils la sentaient menacée et à réaffirmer leur engagement au travail. Par exemple, ils se livraient à des remarques ouvertement sexistes et rabaissaient certains de leurs collègues hommes en qualifiant leur comportement d’ « efféminé ».

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Rendre les sociétés de services aux entreprises plus ouvertes

Pour lutter contre l’homophobie en entreprise, les managers doivent être à l’affût des discours toxiques sur la performance, à commencer par les leurs. Même s’il est une solution imparfaite aux problèmes de diversité, le mentorat peut jouer un rôle. Nous avons observé que dans les bureaux britanniques des firmes internationales, juste de l’autre côté de la Manche, il existait des réseaux de mentorat plus actifs en faveur des salariés LGBT. Dans des projets de ce type, la difficulté est alors de trouver, tout en haut de la hiérarchie, des employés ouvertement LGBT qui serviront de mentors.

Les mentors peuvent aider des jeunes salariés à gérer les conséquences de l’affichage ou non de leur identité sexuelle et à obtenir un soutien de l’entreprise. Par exemple, l’un des salariés qui participait à notre étude et qui était envoyé en mission à l’étranger expliquait comment l’entreprise soutenait son partenaire dans sa recherche d’emploi. Faire partie d’un réseau de salariés fondé sur cet attribut invisible est aussi un moyen de révéler son identité sexuelle en toute sérénité. Les sociétés de services aux entreprises ont encore beaucoup à faire pour résoudre les difficultés des minorités invisibles. À commencer par repenser leur culture.

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