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«L'amour au temps du numérique» : relations jetables (PHOTOS)

«L'amour au temps du numérique» : relations jetables (PHOTOS)

Les jeunes de 20 ans, en 2015, ne rêvent plus de l’amour éternel, n’aspirent plus à terminer leurs relations sentimentales avec la célèbre phrase «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants».

Ils sont plutôt scotchés en permanence à leurs écrans, à Facebook, à Instagram, ils «swipent» à gauche de leur pouce ou de leur index pour dénicher les plus jolis visages sur Tinder, ils ne s’investissent plus dans des relations à long terme, préférant butiner d’une chambre à coucher à l’autre, et refusent de se limiter à une seule personne.

«L'amour au temps du numérique» : relations jetables

Ça vous semble exagéré? C’est pourtant le triste constat que pose L’amour au temps du numérique, un documentaire pour le moins troublant que Télé-Québec diffuse en deux parties, lundi et mardi. La réalisatrice Sophie Lambert (Bagarreurs inc, Toute une famille, 30 secondes pour changer le monde, La course destination monde) a rencontré 80 célibataires dans la jeune vingtaine, pour finalement en sélectionner six, âgés entre 18 et 24 ans, qu’elle a suivis pendant huit mois pour les besoins de son projet.

Trois garçons, trois filles, hétérosexuel(le)s ou homosexuel(le)s, aux valeurs relativement semblables (et un brin déprimantes pour les plus âgés), qui évoluent au fur et à mesure que l’émission avance. Tous ont été recrutés dans les cégeps, les universités, par le bouche-à-oreille, sur Kijiji, sur les médias sociaux. Sophie Lambert tenait elle-même la caméra pendant ses entretiens et est parvenue à soutirer des confidences surprenantes et très intimes à ses six participants.

«Je n’avais pas envie d’amener un regard qui jugeait cette génération, explique la cinéaste. Je pense qu’il y a vraiment un clash générationnel en ce moment. Plusieurs ne comprennent pas ce qui est en train de se passer, et les six jeunes du documentaire m’ont dit avoir accepté de le faire pour aider leurs parents à comprendre leur réalité.»

Juste du sexe

La génération de L’amour au temps du numérique en est une abonnée aux échanges de type «friends with benefits», qui prône le couple ouvert et qui, dans ses courtes idylles, se fait un devoir de ne pas tomber réellement amoureuse, allant jusqu’à se créer un petit jeu stipulant que «le premier des deux qui s’attache, perd».

L’une des jeunes femmes interviewées, Gabrielle, 21 ans, est maman d’un petit bébé et a fait l’amour avec trop de garçons, dans les mois précédents, pour avoir ne serait-ce qu’une vague idée de l’identité du papa. Elle tient d’ailleurs un registre de tous les hommes qui sont passés dans son lit. Sophie Lambert la décrit comme une nymphomane.

Cette même Gabrielle détaille à la caméra de quelle façon se déroulent chacun de ses rendez-vous «galants» – chez elle, sans protection particulière, sans complicité préétablie avec le «soupirant» - selon un scénario bien établi, basé quasi uniquement sur l’apparence. Une autre, Karine, 19 ans, explique le plus sérieusement du monde qu’elle autorise son copain à fréquenter d’autres filles et à tenter avec elles des pratiques sexuelles qui, elle, la rebutent, afin qu’il soit pleinement satisfait, un droit qu’elle s’octroie à elle aussi auprès d’autres mecs. La pauvre déchantera peut-être à un certain moment. Pour sa part, Stef, un «douchebag» assumé de 21 ans, emmène des filles dans le sous-sol de ses parents, sous le regard amusé de sa mère, qui ne semble pas voir de problème au fait que son fils n’ait que les bars et les gyms comme terrain de jeux… et de chasse.

«Ils ont tous eu l’impression d’avoir été honnêtement représentés dans L’amour au temps du numérique, insiste Sophie Lambert. Et moi, c’est ce qui m’importait. J’ai vraiment le feeling d’avoir rapporté quelque chose, comme une étude sociologique, anthropologique. J’étais contente que les jeunes cautionnent le contenu.»

Souvent blessés

Difficile de statuer sur les raisons de ce désillusionnement collectif chez une tranche d’âge qui devrait pourtant carburer à l’espoir. Omniprésence des réseaux sociaux et de l’image dans notre société? Facilité de plus en plus grande à accéder à de nouvelles personnes? Conséquences d’une éducation d’enfants-rois incapables de fournir des efforts et de s’astreindre à des sacrifices? Résultat d’avoir vu leurs aînés se séparer et se divorcer à répétition?

L’amour au temps du numérique n’apporte pas de réponse précise. Par contre, on sent bien que tous ces jeunes aimeraient, un jour, connaître une vie de couple stable. Tous affirment qu’à 30 ans, ils auront un partenaire régulier et seront parents.

En attendant, ils s’amusent. Comme Sophie Lambert l’exprime dans la première partie du portrait, alors qu’autrefois, les adolescents étaient en amour et rêvaient de sexualité, aujourd’hui, ils peuvent toucher des fesses à volonté, mais espèrent sans mot dire bâtir un lien durable avec quelqu’un. Il serait intéressant de refaire l’exercice d’un tel documentaire dans 10 ans pour vérifier si un retour du balancier aura opéré, ou pas.

«Ils sont souvent blessés, indique Sophie Lambert, 45 ans, maman de trois enfants, se portant ainsi à la défense de ses protagonistes. Ils laissent tomber rapidement, ils multiplient les dates, ils ne se font pas rappeler… Il y a des carapaces qui sont en train de se construire. Ils se protègent.» «Ce qui est inquiétant, c’est que, si on se construit une telle carapace dans la vingtaine, comment on peut, plus tard, vraiment entrer en contact avec quelqu’un? Il faut se mettre dans un état de vulnérabilité pour réellement entrer en relation. Ça prend du temps, construire quelque chose, il y a des écueils, des échecs. Mais aujourd’hui, on n’accorde plus de temps et, dès qu’il y a un accrochage, ils vont voir qui les a inboxé sur Facebook…»

L’amour au temps du numérique, ce lundi et mardi, 30 novembre et 1er décembre, à 21h, à Télé-Québec. Ceux qui ne veulent pas attendre à mardi pour voir le deuxième épisode pourront le regarder sur le site web de la chaîne lundi, dès 22h.

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