Décryptage : «la France est en guerre», ça veut dire quoi ?

« La France est en guerre ». Sonnés, les Français ont découvert l'horreur en direct vendredi soir. Après le carnage, François Hollande est le premier à qualifier les pires attentats jamais connus en France comme un «acte de guerre». Samedi soir, Manuel Valls embraye sur ce discours martial. « Oui, nous sommes en guerre », « nous agirons et nous frapperons cet ennemi jihadiste pour le détruire en France, en Europe, en Syrie et en Irak », a déclaré le Premier ministre. La réponse française contre l'EI, qui a revendiqué les attentats, se fera, selon les autorités, au même niveau que cette attaque. Passé l'effet de sidération, le mot «guerre» pénètre dans le cerveau des Français, bousculant tous les repères.
VIDEO. François Hollande dénonce «un acte de guerre»
En guerre, mais contre qui, contre quoi ?
Les attentats à Paris, qui ont fait au moins 129 morts et plus de 350 blessés, montrent que la guerre en Syrie et en Irak ne peut être circonscrite à ces deux pays. « Ce n'est plus simplement une guerre d'idées », estime Patrick Skinner, ancien officier de la CIA et désormais consultant en sécurité. L'attentat contre l'avion russe en Egypte et les récents attentats à Beyrouth et Ankara illustrent aussi à quel point le conflit en Syrie et en Irak est en train de s'étendre. Hasard ou non, les attentats sont survenus juste avant une réunion à Vienne entre 17 pays qui vont tenter de trouver une solution politique au conflit.
« Nous répondrons au même niveau que cette attaque avec une volonté de détruire et nous gagnerons cette guerre » contre Daech assure Manuel Valls. « Ils sont très bien organisés parce que c'est une armée qui a décidé depuis des mois, des années de s'attaquer à la France », a-t-il poursuivi, car « la France c'est la démocratie, c'est un pays debout, c'est un pays libre ».
Plus qu'une guerre symbolique contre le terrorisme, la guerre se concrétise par des frappes et des forces déployées au Proche-Orient. Daech contrôle de larges pans de territoire en Irak et en Syrie et compte dans ses rangs des milliers d'étrangers, dont un millier de Français. Avec 700 militaires postés en Irak, 650 aux Emirats Arabes-Unis, 6 Rafales et 6 Mirages en Jordanie, la France, membre d'une coalition internationale, mène des frappes aériennes contre le groupe en Irak et en Syrie.
Dans l'Hexagone, depuis 10 mois, 30 000 policiers et gendarmes surveillent 5 000 sites répartis dans le pays. Samedi, le chef de l'Etat a décrété une batterie de mesures qui correspond à un état de guerre. Mobilisation des forces de sécurité, 3.000 militaires supplémentaires déployés en Ile-de-France, d'ici mardi et le renforcement des contrôles aux frontières. La mise en place de l'état d'urgence, qui pourrait être prolongé au-delà des 12 jours prévus, est une mesure rarissime mise en Å?uvre il y a 10 ans lors des émeutes de 2005. De même que le deuil national de trois jours, jusqu'à mardi est une mesure exceptionnelle. Les manifestations sur la voie publique sont interdites à Paris et dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne jusqu'à jeudi midi, une interdiction étendue à l'ensemble de l'Ile-de-France jusqu'à lundi
La guerre, une réalité qui va durer
Les enquêteurs ont commencé samedi à identifier les auteurs des attentats. Juges, militaires et autres experts anti-terroristes s'accordent pour dire que «ces frappes obliques» organisées depuis l'extérieur du pays avec des terroristes recrutés en France vont recommencer. « La lutte pour changer cette réalité va être, au mieux, très longue et il y aura encore beaucoup de tragédies comme à Paris », anticipe Anthony Cordesman, du Centre pour les études internationales stratégiques, dans une analyse publiée samedi. « Il faut changer d'état d'esprit, comprendre que nous sommes en guerre et que cela va durer 30 ans » avance le colonel de réserve Pierre Servent sur BFMTV.
Le message fort du G20
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« Je pense que notre réponse au terrorisme international va se concrétiser de façon très forte, très dure à ce sommet du G20 », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan devant la presse à l'issue d'un entretien avec son homologue américain Barack Obama.
Le discours politique se crispe
Pour l'ancien ministre Alain Juppé : il faut «clarifier» les objectifs de la coalition internationale en Syrie et «écraser Daech».
«Quand on est en guerre, on doit accepter des contraintes dans le pays», souligne François Fillon, prenant l'exemple de son épouse britannique quand elle vivait à Londres pendant «la guerre à l'IRA». «Il faut aller jusqu'au bout de ces mesures, expulser les étrangers qui représentent une menace pour la sécurité nationale», mais aussi «mettre sous surveillance, y compris en résidence surveillée, les Français qui représentent une menace pour la sécurité nationale et qu'on ne peut pas expulser.»
Le Premier ministre Manuel Valls a affirmé samedi qu'il fallait « expulser tous ces imams radicalisés » et « déchoir de la nationalité ceux qui bafouent ce qu'est l'âme française ».
Laurent Wauquiez, secrétaire général des Républicains, demande que « les 4000 personnes vivant sur le territoire français, fichées pour terrorisme », soient « placées dans des centres d'internement anti-terroristes spécifiquement dédiés », samedi dans une déclaration à l'AFP.
Nicolas Sarkozy : «Au-delà du nécessaire état d'urgence, et des contrôles aux frontières», annoncés vendredi soir par M. Hollande, «nous soutiendrons toutes les décisions qui iront dans le sens d'un renforcement drastique des mesures de sécurité qui permettront de protéger la vie de nos compatriotes», a-t-il ajouté, dans un soutien en forme d'injonction. Au sortir d'un entretien de plus d'une heure à l'Elysée avec François Hollande, il demande à l'UE «une nouvelle politique d'immigration», avant d'ajouter : «Il faut que les Français se sentent en sécurité».
« La France et les Français ne sont plus en sécurité, mon devoir est de vous le dire. Et des mesures d'urgence s'imposent », a pour sa part lancé Marine Le Pen.
Les citoyens se dressent contre la peur
#OccupyTerrasse pic.twitter.com/31nvFguaqm
— Quentin Laurent (@Quentin_Laurent) November 15, 2015
Des bougies sur les fenêtres, des fleurs devant les cafés ou les mairies....Malgré l'interdiction de rassemblement, des hommages ont été rendus partout en France samedi et continuent ce dimanche. Beaucoup appellent à résister, en continuant à sortir, à aller au restaurant, en terrasses, avec un mouvement lancé sur les réseaux sociaux et baptisé « Occupy terrasses». En écho à ce mouvement de résistance, une jeune témoin entendue partout sur les plateaux de télévision appelle les Français « à ne pas avoir peur ».
Chronologie des attentats les plus meurtriers en France