Aimer les produits Maple Leaf, c'est une chose. Les Aimer d'amour, c'en est une autre.

La chanteuse Nanette Workman réclame actuellement 675 000 $ au géant canadien de l'alimentation pour avoir exploité sa voix sans autorisation dans ses publicités pour les saucisses Top Dogs. Diffusé tout l'été à la télévision, ledit «commercial» utilisait la célèbre chanson de Georges Thurston Aimer d'amour, dans laquelle Nanette interprète le refrain.

Maple Leaf prétend avoir agi en toute légalité en achetant les droits du morceau à la compagnie Unidisc. Mais l'avocat de Mme Workman, Daniel Payette, affirme que l'entreprise ontarienne aurait dû demander la permission à sa cliente - dont la voix est clairement identifiable dans la publicité - qui n'a manifestement pas apprécié d'être liée contre son gré à des «produits associés à la malbouffe».

«C'est une cause très intéressante qui implique le droit fondamental de toute personne à ne pas voir son nom, sa voix et sa renommée associés à la promotion publicitaire d'un produit commercial», explique l'avocat en précisant que ce droit est reconnu par les articles 35 et 36 du Code civil, de même que par la Charte des droits et libertés. «Cette chanson n'appartient peut-être pas à Nanette, mais son interprétation lui appartient. Et si quelqu'un veut cet enregistrement sonore à d'autres fins que discographiques, il doit demander l'autorisation à l'artiste.»

Selon M. Payette, cette autorisation était d'autant plus essentielle que la publicité n'a conservé que les extraits où l'on entend Nanette, évacuant au montage la voix de Georges Thurston. «Visiblement, ils voulaient Nanette et personne d'autre. Ils voulaient clairement que sa notoriété soit associée à un de leurs produits», observe M. Payette.

Malgré plusieurs mises en demeure envoyées depuis le début juillet, la pub de Top Dogs aurait continué d'être diffusée jusqu'au 8 août. Mme Workman poursuit maintenant Maple Leaf et l'agence de publicité ontarienne John Street Advertising pour 425 000 $ de «dommages matériels et moraux» et pour 250 000 $ en «dommages exemplaires et punitifs» devant la Cour supérieure de Montréal. C'est beaucoup de bacon, si l'on peut dire.

Mais Me Payette explique que cette «somme importante a pour but de dissuader Maple Leaf de recommencer».

L'entreprise canadienne se défend pour sa part d'avoir agi à tort et s'en remet au fait que la compagnie montréalaise Unidisc, détentrice du catalogue de Georges Thurston, lui avait garanti tous les droits.

«Nous pensions certainement avoir effectué toutes les démarches de bonne foi», résume Linda Smith. Dans sa défense déposée vendredi à la cour, Maple Leaf juge la poursuite «abusive» et «disproportionnée», allant jusqu'à remettre en question la notoriété de la chanteuse.

Interprétée en anglais par l'Américain Leo Sayer, Easy to Love a été traduite et enregistrée par Georges Thurston en 1978. Parue sur le label punk de Tony Roman Montreco/Plastic Poison, Aimer d'amour sera un succès immédiat au Québec, avec plus de 150 000 exemplaires vendus. La chanson sera remise en circulation par Unidisc au début des années 90 et connaîtra un regain de popularité inattendu en Europe, où elle s'écoulera à près d'un million d'exemplaires.

Les avocats de Maple Leaf, tout comme Nanette Workman, n'ont pas voulu commenter l'affaire, qui se poursuivra en décembre.